Le monstre du grenier

Nous visitâmes notre maison actuelle une fin d’après-midi pluvieux de février. La maison, inhabitée depuis une décennie, était froide, les murs gris, sales. Le rez de chaussée, les chambres de l’étage furent visités aux dernières lueurs de la journée. Il faisait nuit lorsque nous atteignîmes le grenier. La porte refusa de s’ouvrir. L’humidité avait fait gonflé le bois. Une forte poussée de l’épaule me permit de l’entrouvrir. Deux petites lucarnes laissaient passer la lumière blafarde de la lune naissante.
[simage=147,320,n,left] Nous nous avançâmes dans la pièce. Le plancher craquait sous nos pas. Le vent s’infiltrait sous les ardoises. Quelques vieux meubles gisaient dans un coin. Un lit, un sommier et un tas de tissus me sembla-t-il. Arrivés au centre de la pièce, nous admirâmes la belle charpente traditionnelle, construite 70 ans plus tôt. Un bruit nous fit nous retourner et regarder en direction des antiquités. Deux yeux jaunes nous regardaient. Une voix s’éleva :
«  Qui me dérange ? »
Surpris, inquiets, nous nous présentâmes, expliquant la visite, notre envie d’acheter la ferme et de devenir paysan, parlant sans fin pour conjurer notre peur.

A nouveau, la voix se fit entendre :
«  Je me nomme Raminagrobis, J’ai 10 000 ans. Avant d’habiter ici dans ce grenier, j’ai vécu une vie aventureuse. Dieu chez les égyptiens, Diable en Europe, les Romains m’adulaient. Vos François Rabelais et Jean de la Fontaine ont écrit des textes sur moi et ma vie. Je fus célèbre à de nombreuses époques.
Depuis ma naissance dans le Croissant Fertile, j’ai voyagé partout dans le monde.
Pauvres humains que vous êtes, vous mourrez de peur. Dans cette obscurité qui vous empêche de me voir, je distingue votre peur sur vos visages, je sens l’odeur acre de votre frayeur, je ressens dans ma moustache et sous mes pieds vos tremblements. Mes sens sont supérieurs aux vôtres. Vous craignez pour vos vies ! Oui, je suis cruel. Oui, je suis un chasseur impitoyable. Je joue avec mes victimes avant de les achever. D’un coup de griffes ou de dents, j’ouvre un ventre, casse une nuque, tranche une gorge. Je peux rester des heures sur une branche ou tapi au sol à observer ma proie pour fondre d’un bond sur elle, au moment propice. »

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Le monstre parlait et nous nous demandions comment nous échapper. Lentement, imperceptiblement, nous glissâmes vers la porte, nos regards fixés sur les deux points jaunes à l’angle du grenier. Encore un mètre pour atteindre la porte.
Je tendis la main pour saisir la poignée. Un cri retentit.
« Non, ne partez pas ! »
Nous nous figeâmes.
D’une voix douce, le monstre reprit, ronronnant:
« Vous voulez devenir paysan ? Je vous suis indispensable. De tous temps, en tous lieux, les paysans m’ont accueilli chaleureusement. Pour eux, j’ai quitté le monde sauvage. Je protège leurs récoltes, je chasse pour eux. Ils me nourrissent, me réchauffent, m’ouvrent leur porte et me cajolent. Pour leurs enfants, mes pattes deviennent du velours. Depuis 10 ans, je vis seul dans ce grenier, je ne le supporte plus. Emmenez moi avec vous, vous ne le regretterez pas.  »
Le ton était suppliant. Touchés par cet appel, nous ouvrîmes grands nos bras, surs que nos cœurs ne se trompaient pas.

La créature bondit.

D’un mouvement souple, ample, il se jeta dans nos mains ouvertes.

Nous venions d’adopter notre premier chat.

3 Replies to “Le monstre du grenier”

  1. mamienne

    Bonjour Eric , ça me rappelle la très grande maison de mes maitres de stage quand j’étais étudiante , toutes les nuits on entendait marcher très distinctement au grenier, on a beau vouloir se raisonner , c’est pas du tout rassurant !!
    les propriétaires des lieux m’ont dit qu’une famille de hiboux vivait là, ouf !c’était donc ça …

    Le semis de dactyle s’est très bien passé , les températures repassaient dans le positif dans la journée , ça a facilité le travail . Il y avait très longtemps que cette parcelle n’avait pas été travaillée , Guy m’a dit que c’est pour ça aussi que c’est si meuble .
    Elle fait 5ha 60 , il y a des endroits où la terre est très fine et d’autres où elle est beaucoup plus compacte et humide .
    Elle était pleine de gros vers de terre , je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’on les dérange en perturbant ainsi leur milieu …

    Très bonne journée à vous et bonne continuation .
    christine

  2. Eric Post author

    Merci Marie.
    Au fait, nous avons retrouvé tes commentaires dans le dossier des indésirables ! Rien de personnel. Les limites de l’automatisme. A bientôt
    Eric

  3. Marie

    Coucou!

    Encore un talent révélé à la ferme de la Ribière de Bord, celui de conteur!
    Merci pour l’histoire!
    Bonne journée,

    Marie

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